Quand l'état d'urgence déraille...
Posted on ven. 20 janvier 2017 in misc
Bien que l'état d'urgence est déjà par son existence une dérive, cet état d'urgence déraille aussi...
Contexte
J'ai au cours des trois derniers mois lu un grand nombre d'arrêtés, notamment pour comprendre si l'état d'urgence était utilisé uniformément sur tout le territoire. Les données publiées par l'Assemblée nationale ne permettent pas de le savoir et même dans leur rapport, bien qu'il détaille géographiquement à l'aide des cartes, ces cartes ne montrent pas certaines choses, par exemple qu'environ 1/3 des autorisations de fouilles ont été pour le département de la Seine et Marne.
Il faut savoir que le suivi de l'Assemblée nationale est possible uniquement parce que Jean Jaques Urvoas, lors de la première prolongation de novembre 2015 a introduit, à la suite de discussions informelles entre le législatif et l'exécutif, un amendement visant à ce que le parlement soit informé de toutes les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence par le gouvernement. Ce bout de loi votée dans l'urgence (2 jours entre le dépôt et le vote définitif) a été remanié (en urgence aussi) en juillet 2016, lors d'une prolongation, pour que les autorités administratives transmettent d'elles-mêmes les arrêtes au parlement (Sénat et Assemblée nationale) Les données publiées par l'Assemblée nationale tous les 15 jours viennent du ministère de l'Intérieur et de la Justice, ainsi que des préfectures. Il n'y a aucune obligation de publication sur le site de l'Assemblée de ces chiffres...
Qu'elles sont les mesures dont on peut avoir connaissance ?
Un certain nombre de mesures ne sont pas publiées, par exemple les ordres de perquisitions, ou les assignations à résidences.
Voici les mesures prévus par la loi sur l'état d'urgence, prises par arrêtés préfectoraux qui sont publiées dans les recueils des actes administratifs des préfectures:
- Les fouilles, c'est l'article 8-1 de loi sur l'état d'urgence qui permet au préfet d'autoriser à procéder aux contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
- Les zones, c'est l'article 5 qui permet (principalement) d'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé.
- Les manifestations c'est l'article 8 qui permet, à l'autorité administrative qui justifie de ne pas être en mesure d'en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose d'interdire les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique.
- Les fermetures, c'est l'article 8 qui permet au préfet d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature.
L'état d'urgence version 5 s'étend de 21 juillet 2016 au 21 décembre 2016, la version 6 du 22 décembre jusqu'au 15 juillet 2017 (sauf une éventuelle suspension avant)
La nature de l'état d'urgence et ces décisions lourdes de conséquence, implique que l'on le manie avec la plus grande prudence et le plus grand suivi.
Et ça déraille où ?
Un suivi défaillant
Les chiffres affichées par l'Assemblée nationale et le Sénat dans son rapport sur la prolongation vers la version 6 de l'état d'urgence sont, du moins pour certains, incomplet!
Ce qui est d'autant plus problématique puisque les députés le reconnaisse dans leur rapport "Le contrôle parlementaire s'est vite imposé comme un élément de la légitimité de cette période d'exception"
Pour la version 5 au 14 décembre :
Pour les zones de protections : entre le 26 juillet et le 14 décembre 2016, il est possible de trouver 27 zones de protections, hors le Sénat en répertorie 20 (au 14/12/16) et l'Assemblée nationale 22 (au 8/12/16). De plus, au moins deux zones que j'ai pu répertorié ne correspondent pas à celles répertoriés par le Sénat (autrement dit le Sénat en trouve plus que moi sur ces départements).
Donc il y a en réalité eu une trentaine de zones de protections, soit ... 1/3 de plus ...
Cela vient possiblement du fait que ce sont les préfectures qui remontent au parlement leurs propres actes, par exemple aucune des quatre zones de protections de la Loire apparaît dans le rapport du Sénat.
De même avec les interdictions de manifestations, au moins trois sont manquantes dans la synthèse du Sénat du 14 décembre.
Pour la version 6:
On ne peut que prendre les données de l'Assemblée nationale publiés le 12 janvier
Hors déjà (20 jours après le début de cette période) ça déraille !
Des fermetures il y en a eu 2 (au moins à ma connaissance) VS 1 selon les chiffres de l'Assemblée nationale
Des restrictions de circulation il y a en a eu au moins 1 VS 0 selon les chiffres de l'Assemblée nationale
Du copier-coller
On constate, pour les arrêtes de fouilles que c'est réalisé suivant une mécanique de copier-coller l'exemple le plus flagrant sont ces deux arrêtés
Le premier arrêté à deux articles II avec deux lieux d'exécution et le second n'a pas d'article II et pas de lieu d'exécution...Mais cela n'empêche pas le préfet de signer les deux arrêtés.
Certains arrêtés sont aussi des copies coller de jour en jour, par exemple la fouille à la gare du Crusot (et en gare de Chalon-sur-Saône plus récemment) est autorisé de 8h00 à 24h00 tous les jours depuis au moins début octobre.
Il n'est plus étonnant que par la suite il y ait eu plus de 2000 arrêtés ordonnant des fouilles sur la période 5 avec ce type d'arrêtés.
N'étant pas juriste je ne peux l'affirmer, mais il est possible que ceci est pour but de faire des contrôles dans les trains, grâce à l'article 8 de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
Un cas similaire c'est autour des camps de réfugiés à Loon-Plage et Grande-Synthe où tous les jours de 6h à 18h les fouilles sont autorisés par un arrêté.
Un autre cas flagrant, les arrêtés du 11 janvier par le préfet de Seine Maritime sont tous pour une application durant l'état d'urgence version 6 mais aucun ne cite la nouvelle loi de prolongation promulguée le 19 décembre...ils ont gardé le même modèle...
Fouille de plus de 24h
Les autorisations de fouilles sont limités à 24h, mais les préfets contournent parfois plus ou moins directement la loi:
Les considérants
Best-of des considérants pour justifier les mesures d'état d'urgence :
-
Considérant qu'un attentat survenu il y a plus de 15 jours à 1000km de là va induire un flux important de véhicule (page 60)
-
Considérant qu'en se cachant entre le fromager et le maraîcher, dans le Loiret (Voici une carte de France avec le Loiret si vous ne savez pas où ce département est situé) il est possible de s'introduire sur le territoire français
Divers
Entre la démission de Manuel Valls de son poste de premier ministre et la promulgation de la loi de prolongation le 19 décembre, l'état d'urgence était censé se finir 15 jours après la démission du gouvernement (c'est la loi) c'est-à-dire le 21 décembre. Néanmoins, certains préfets ont pris des arrêtes pour des mesures de l'état d'urgence durant cette période pour une application après le 21 décembre, c'est-à-dire après la fin "prévu" de l'état d'urgence.
Le préfet de la Drôme a interdit les raves party sur une trentaine de communes de son département, mais son arrêté n'utilise pas l'état d'urgence telle qu'on pourrait s'y attendre (=> comme pour interdire une manifestation, non pour cela il utilise le droit commun). Il cite la loi sur l'état d'urgence "notamment son article 11-1", l'article 11-1 c'est l'article sur les perquisitions administratives !
I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu [...] lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics."
Ce n'est qu'un aperçu, à travers les recueils des actes administratifs des dérives de l'état d'urgence, mais il y en a bien d'autres qui sont bien plus complexes à répertorier (lors d'exécution d'ordre,usage de l'état d'urgence à outrance, mesures individuelles), à titre d'exemple, les arrêtés de fouille ont parfois été exécuter par des vigiles ou même de "simple" bénévoles. Les maires ont aussi, par des arrêtés municipaux utilisé l'état d'urgence, parfois simplement pour appuyer leur propos, d'autres fois en réécrivant des mesures qui sont normalement réservées aux préfets.
Source / Données
Si vous souhaitez utilisez ces données je vous conseille de les vérifiées, en effet c'est un travail très fastidieux à faire, il est possible (voir même certain) qu'il y ait des fautes, n'hésitez pas à me les signaler. Néanmoins, cela ne couvre pas l'ensemble des arrếtés de l'état d'urgence mais seulement une grosse partie des versions 5 et 6.